Comprendre pour agir

Qu’il s’agisse d’une douleur persistante à la suite d’une blessure ou d’un symptôme lié à une maladie telle que la fibromyalgie, la douleur chronique est une condition envahissante et stressante qui peut mener à l’épuisement. Si vous vivez avec de la douleur chronique, il est fort probable que celle-ci affecte considérablement votre style de vie. Si c’est votre douleur qui dicte ce que vous faites, quand et pour combien de temps vous le faites, sachez qu’il est possible de reprendre le contrôle, et cela commence par mieux comprendre cette condition, dans le but d’agir dans le futur.

Dans ce premier article sur le sujet, qui s’adresse aux gens qui vivent avec la douleur chronique et à leurs proches, ainsi qu’aux curieux de nature, nous expliquerons le fonctionnement de la douleur chronique. 

La douleur, son rôle et son fonctionnement

La définition théorique de la douleur selon l’International Association for the Study of Pain (IASP) est “une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle, potentielle ou décrite en ces termes par le patient” (Vader et al. 2021). Prenons le temps de décortiquer cette définition. Tout d’abord, la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle, c’est donc dire que nos sens la détectent et que notre cerveau l’interprète en tant qu’émotion, généralement négative. Ce fonctionnement est au cœur de la douleur chronique, il faut donc s’assurer de le comprendre pleinement. Le tout commence dans les tissus du corps, où l’on trouve des récepteurs sensibles à la douleur appelés nocicepteurs. Lorsque stimulés, ces nocicepteurs envoient des signaux nerveux à travers la moelle épinière jusqu’au cerveau. C’est dans le cerveau que cette stimulation est ressentie comme étant une douleur et que nous avons cette réaction émotionnelle face à la dite stimulation. Ainsi, l’expression disant que la douleur est dans la tête est tout-à-fait vrai! C’est réellement au niveau du cerveau qu’elle est ressentie.

La douleur joue un rôle déterminant dans le fonctionnement du corps humain,  elle est essentielle à notre survie. Elle permet d’éviter des sources de danger qui menacent l’intégrité de notre personne. Et, bien que l’on apprenne très tôt dans notre vie à éviter ce qui nous fait mal, notre corps développe tout un système de gestion de ces signaux de douleur. En effet, bien avant que l’on ressente une douleur, notre système nerveux active des mécanismes modulateurs de la douleur. Ces mécanismes ont deux grandes fonctions, d’une part augmenter la perception douloureuse et d’autre part la diminuer. En d’autres termes, certains mécanismes facilitent la circulation des signaux de douleur vers le cerveau alors que d’autres les freinent ou les affaiblissent. L’équilibre entre ces deux mécanismes se fait inconsciemment, et lorsque le système fonctionne bien, la douleur est ressentie à l’intensité adéquate, au moment opportun. Il arrive cependant que ces mécanismes deviennent dysfonctionnels, et c’est à ce moment que la douleur chronique peut s’installer.

Afin d’illustrer ces mécanismes, imaginons une personne qui chute et se fracture le poignet. À l’instant même où la fracture a lieu, les nocicepteurs détectent le stimulus et le signal est transmis par les fibres nerveuses vers la moelle épinière. Le long de son trajet dans les fibres nerveuses, le message douloureux sera influencé par des modulations facilitatrices ou inhibitrices qui augmenteront ou diminueront ce que la personne ressent au final. De plus, la perception douloureuse sera influencée par plusieurs facteurs dont le contexte, les expériences passées et même le bagage génétique. Ainsi, cette sensation de douleur peut différer d’une personne à l’autre. Il est donc normal et même nécessaire, au moment d’une blessure, de ressentir de la douleur, et ce pendant un certain temps, pour la durée de la guérison. Pour éviter de créer davantage de lésions au poignet blessé, l’organisme envoie des signaux de douleur pour contraindre les mouvements. C’est ce que l’on appelle la douleur aiguë, qui dure habituellement de quelques heures à quelques semaines, et qui assure le maintien de l’intégrité physique.

La douleur chronique, c’est quoi?

Pour en revenir à l’exemple de la blessure au poignet, la lésion physique causée par la chute a provoqué une fracture. Les tissus, dans ce cas-ci les os et fort probablement les ligaments et les tendons, ont subi une lésion. On remarquera sans doute que l’articulation est gonflée et que la peau est rougeâtre ou mauve. Il s’agit là de réactions normales. Lors de cette période, le corps travaille à guérir les tissus atteints et les sensations de douleur sont normales et attendues. Habituellement, trois mois plus tard, le corps a complété ses procédés de guérison.  C’est lorsque la douleur persiste au-delà de cette période de guérison qu’on la qualifie de chronique. Il n’y a plus de lésion physique, mais la douleur est toujours ressentie, pourquoi? C’est le système nerveux qui par lui-même, continue d’envoyer des signaux de douleur au cerveau, même en l’absence de lésion. La sensation de douleur est belle et bien réelle, mais les tissus ne sont pas atteints. Cela rend souvent les gens plutôt perplexes, car on ne détecte rien ni à l’œil ni par imagerie, aucune lésion des tissus. Et pourtant, la douleur est bien présente…

Avec le temps, les mécanismes de modulation de la douleur, ceux qui facilitent ou freinent la circulation des signaux de douleur vers le cerveau, sont altérés. D’une part, des nerfs qui ne conduisaient pas de signaux de douleur dans le passé peuvent devenir conducteurs. Il y a donc davantage de transmission de la douleur. D’autre part, les nocicepteurs, ces récepteurs de douleur, peuvent développer une plus grande région d’activation. Si l’on reprend l’exemple de la blessure au poignet, cela peut signifier que la zone de douleur qui se situait initialement à l’articulation peut s’élargir à la main, ou à une partie de l’avant bras. Davantage de nocicepteurs peuvent être activés et chacun d’entre eux peut l’être plus facilement, ils sont plus sensibles. Inversement, les mécanismes de freinage des signaux douloureux qui descendent dans la moelle épinière s’affaiblissent.

Résultat, la transmission des signaux de la douleur au cerveau est amplifiée. Peu importe les changements qui s’opèrent, une hypersensibilité à la douleur du système nerveux en résulte. Ainsi, pour la personne qui a subi une fracture au poignet, blessure dorénavant guérie, le simple fait de fléchir les doigts ou fermer la main pour former un poing peut provoquer de la douleur. Alors qu’il n’y a ni lésion et ni menace à l’intégrité de l’articulation, la douleur est bien présente, et elle est maintenant qualifiée de chronique.

Il faut savoir que toutes ces modifications ne se produisent pas de façon simultanée. Une personne peut être atteinte de douleur chronique et en n’ayant développé que quelques-unes, ou même une seule de ces altérations. 

Types d’interventions possible

Lorsque l’on est atteint de douleur chronique, il faut s’assurer que notre plan d’action est adapté à notre situation. Comme nous venons de le voir, il existe plusieurs mécanismes qui altèrent la perception de la douleur. Cependant, d’autres facteurs doivent être pris en compte lorsqu’est venu le moment d’intervenir. Pensons à l’historique médical, aux symptômes coïncidents avec la douleur chronique (dépression, fatigue, etc.), l’âge de la personne, sa génétique, ses préférences…Ce sont tous des paramètres qui doivent être abordés avec un professionnel de santé. Les interventions possibles peuvent être pharmaceutiques, mais plusieurs options non-pharmaceutiques sont prouvées être plus efficaces dans le temps. Le prochain article mettra en lumière les avantages et les effets secondaires pour chacune de ces interventions.

Bibliographie de l’article

Cohen, S. P., Vase, L., & Hooten, W. M. (2021). Chronic pain: an update on burden, best practices, and new advances. Lancet (London, England), 397(10289), 2082–2097. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)00393-7

Fitzcharles, M.-A., Cohen, S. P., Clauw, D. J., Littlejohn, G., Usui, C., & Häuser, W. (2021). Nociplastic pain: towards an understanding of prevalent pain conditions. The Lancet, 397(10289), 2098–2110. doi:10.1016/s0140-6736(21)00392-5

Kirkpatrick, D. R., McEntire, D. M., Hambsch, Z. J., Kerfeld, M. J., Smith, T. A., Reisbig, M. D., Youngblood, C. F., & Agrawal, D. K. (2015). Therapeutic Basis of Clinical Pain Modulation. Clinical and translational science, 8(6), 848–856. https://doi.org/10.1111/cts.12282

Vader, K., Bostick, G. P., Carlesso, L. C., Hunter, J., Mesaroli, G., Perreault, K., Tousignant-Laflamme, Y., Tupper, S., Walton, D. M., Wideman, T. H., & Miller, J. (2021). La définition révisée de la douleur de l’IASP et les notes complémentaires : les considérations pour la profession de la physiothérapie. Physiotherapy Canada. Physiotherapie Canada, 73(2), 106–109. https://doi.org/10.3138/ptc-2020-0124-gef

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